Après le déluge
Wavre, chroniques de l’inondation de juillet 2021
De mémoire de Wavrie·nes, on n’avait jamais vu ça : la Dyle qui déborde de plus de trois mètres par endroit, soixante rues et places inondées, plus de 1600 bâtiments envahis par l’eau, 677 tonnes de déchets.
Diane Platteeuw et Marie-Pierre Jadin sont libraires. De ce désastre professionnel et privé, intime et collectif, elles ont décidé de garder trace en sollicitant la mémoire des Wavrien•nes, citoyen•nes ou acteur•rices de terrain.
Du récit de ces journées, sous la plume des habitant·es, des sinistré·es ou du personnel de terrain, on retiendra l’angoisse, l’impuissance, la tristesse ou la colère. Les moments intenses passés à nettoyer, jeter, déblayer, trier, réparer. Mais surtout l’immense solidarité qui régna pendant ces journées dramatiques. La fiction, l’émotion, l’humour se glissent au détour de certaines pages. L’histoire de la ville et de la rivière, et la réflexion sur l’urbanisation et sur les changements climatiques, invitent à tirer de ces évènements des enseignements pour l’avenir.
De la grande inondation de juillet 2021, ce recueil propose le récit, la trace et la mémoire.
EXTRAITS
#Solidarité : Nos misères collectives, qui à être partagées sont un peu plus légères.
17 juillet : je reçois des messages de partout. Des amis débarquent avec raclettes, loques, produits de nettoyage, éponges, bottes, seaux et j’en passe. Le soleil s’est invité aussi et chacun dans la rue, dans le centre, ouvre portes et fenêtres et balance ce qui doit être jeté. Les rues ne sont plus qu’un vaste dépotoir
Comment décrire cette ambiance ? Cela me semble impossible. Il y a les ouvriers communaux qui ramassent au fur et à mesure l’énorme quantité de déchets déposés sur les trottoirs. Il y a les amis qui viennent aider à tout nettoyer dans les maisons. Il y a les inconnus qui proposent des sandwiches, des boissons, de l’aide, qui viennent de loin parfois, juste pour aider. Il y a d’autres ouvriers qui tentent de nettoyer la boue qui s’est accumulée partout dans les rues. Une amie, Françoise, passe devant chez moi et me demande ce qu’elle peut faire pour m’aider. Je lui donne deux bacs emplis de nappes dégoulinantes. Elle va les nettoyer, les sécher et les repasser avec le soin méticuleux qui la caractérise !
Mon petit jardin est empli de trucs qui sont lavés puis mis à sécher au soleil. Laurence a apporté à manger et nous prenons un repas tous ensemble sur la terrasse. Luc et Renaud viennent vérifier les appareils électriques.
Ces deux journées intenses se confondent car nous les avons passées à nettoyer, trier, jeter… Ce que nous vivons est à la fois personnel, intime même, car l’eau s’infiltre partout, et collectif, car nous sommes des milliers à être impactés. Nous apprenons aussi les drames dans la région de Liège, les morts, les maisons détruites, les cimetières de voitures.
Une réflexion me vient à l’esprit : nous sommes les premières victimes belges des changements climatiques. Nous savons que nous devons changer de paradigme, de façon de vivre, de consommer. Pourtant, à voir ce qui est déposé sur les trottoirs, c’est un énorme gâchis, un gaspillage gigantesque qui nous saute aux yeux. De même qu’il faut nettoyer le trop plein d’eau avec… de l’eau, de même, nous allons devoir racheter du neuf pour remplacer ce qui n’aurait pas dû l’être s’il n’y avait pas eu ces inondations.
En attendant, ce soir, grâce à notre voisine Sophie, nous dégustons tous ensemble un pain saucisse et nous célébrons, à notre façon, nos misères collectives, qui à être partagées sont un peu plus légères. (…)
Marie-Pierre Jadin, libraire
#Solidarité : Des citoyens débarquaient avec leurs seaux et leurs raclettes
Le vendredi, explique Christophe Gomand, Madame la Bourgmestre a posté un appel à la solidarité sur Facebook. Nous avons été submergés de demandes et de propositions. C’était énorme ! Nous imprimions les mails, nous essayions de classer les demandes, de dresser des listes de besoins, de numéros de GSM… et nous avons bien fait, car, le samedi matin, nous avons pu appeler les volontaires qui s’étaient manifestés. (…)
Ce qui s’est passé ailleurs a frappé les esprits. Des gens se sont proposés, qui venaient de Bruxelles, de partout. Les réseaux sociaux et la presse ont favorisé cet élan. C’était bouleversant ! Des citoyens de Wavre débarquaient à la maison communale avec leur seau, leur raclette… ou de la nourriture, des biscuits… Rien qu’à en parler, j’en ai encore la chair de poule, dit Christophe Gomand. Parfois les gens proposaient une heure de leur temps, parfois un hébergement… ou une aide technique, des pompes, par exemple.
– Certains de nos collègues étaient aussi inondés, raconte Patricia Robert. Ou des personnes de notre famille. Des gens étaient doublement victimes, détaille Christophe Gomand : leur commerce était inondé, mais aussi leur maison. Des gens n’avaient plus d’électricité. J’ai reçu un appel pour une personne qui avait besoin d’assistance respiratoire. Il a fallu obtenir des numéros de GSM, entrer en contact avec la personne, transmettre l’information aux services sociaux du CPAS… et tout cela a bien fonctionné.
Christophe Gomand et Patricia Robert, agents communaux
#Solidarité : Il y a un réseau, tout le monde se connaît
Un gars est arrivé à six heures du matin, avec des pompes professionnelles. Il est passé de maison en maison. Ce gars… je n’ai jamais su son nom. Quand il est parti, c’était la fin de l’après-midi. Il était encore appelé dans d’autres maisons. Il a passé tout son week-end à pomper. Et c’est rude. Ça pue, on patauge ; parfois, dans certaines caves on ne tient pas debout… Ce qu’il a fait, c’est hallucinant. (…)
Un gars du quartier, connu pour ses petits trafics, a réussi à se procurer un canot et a commencé à passer de maison en maison pour demander aux gens s’ils manquaient de quelque chose, à apporter des victuailles, des packs d’eau… Quand l’eau s’est retirée, il a organisé un barbecue rue Charles Sambon, gratos pour tout le monde. Il avait ramené tous ses potes pour aider, il y avait de la musique, ça a mis une ambiance de malade. Ce gars a été magique ! Ce qu’il a fait ces jours-là pour le quartier, c’était hyper important, et il a été valorisé pour ça. Ça montre aussi ce qu’est un petit centre-ville comme Wavre. On peut dire que ce centre-ville est moribond, que le commerce ne se porte pas très bien… comme dans toutes les petites villes commerçantes. Mais il y a un réseau, tout le monde se connaît, et au sens positif du terme, un contrôle social. Le dimanche soir, on était à la maison, fourbus, quand une voisine m’appelle : « Dis, ce soir, on fait pains-saucisses. Vous êtes combien ? » Le soir, on était tous là, à manger notre pain-saucisse, à rire, à mettre notre obole dans la caisse pour que ça ne coûte rien à personne… (…)
Mes voisins… Le lundi, j’ai lancé un appel pour recevoir des caisses à vin pour Claudine. J’avais une tonne de livres à ranger et impossible de les remettre en rayon avec cette humidité. Je passe par Facebook, je poste la photo d’une raclette et d’un seau appuyés sur une pile de livres. Dans les quatre heures, j’avais quarante caisses à vin. On les a gardées, elles forment aujourd’hui une bibliothèque à l’étage. Je me souviens aussi de ces trois jeunes gens venus de Bruxelles, proposant un coup de main, que j’avais réquisitionnés pour déplacer un très gros meuble. Ils avaient deux mains gauches ! Soudain, l’un dit à l’autre : « Tu as lu ce livre ? Et celui-là, tu connais ? » Et voilà qu’ils se mettent à discuter littérature. « Madame, la caisse est ouverte ? » Ils ont acheté des bouquins.
Le lendemain, la librairie rouvrait. (…)
Diane Platteeuw, libraire
Ont contribué à ce recueil : Pablo Cremers, Bernard De Martelaere, Damien Flamant, Michel Gallez, Anne Gillard, Caprine Girboux, Christophe Gomand, Thérèse Goossens, Anne-Donatienne Hauet, Marcia Hisette, Laurence Hovine, Marie-Pierre Jadin, Zuzana Lalkovicova, Pierre Lavendy, Alain Moisse, Émerence Naomé, Françoise Pigeolet, Diane Platteeuw, Patricia Robert, Laetitia Sidgwick et Pascal Vanden Berghe.
© Editions Academia, 2022