David Van Reybrouck

De la misère. Des gravats. De la poussière. Des larmes. Le travail de terrain que j’ai effectué dans la vallée de la Vesdre au printemps dernier a été parmi les plus difficiles que je n’aie jamais réalisés. Comme si j’étais de retour dans l’est du Congo. Des berges effondrées, des maisons éventrées, des vies dévastées. Ici et là, pendaient encore des morceaux de plastique, à trois mètres de hauteur dans les arbres. « Bien sûr que j’étais là », soupire une mère célibataire. « Le rez-de-chaussée était inondé. Je suis montée à l’étage avec les enfants. L’aîné avait trois ans, le plus jeune neuf mois. Le bébé avait faim, mais je n’avais rien à manger en haut. Nous sommes partis des heures plus tard. Je n’ai pas pu trouver de chaussures, tout était inondé. J’étais à pieds nus dans la rue. De l’eau jusqu’aux hanches. Deux enfants dans les bras ». La crise climatique, un avenir lointain ? Non, c’est ici. Ici et maintenant. Brut, dur et impitoyable. « J’ai perdu ma fille et mon beau-fils. Je n’arrive pas à en parler. Mon frère, paralysé, était dans le canapé quand l’eau est entrée. Sa femme aussi est morte ». « Ma marraine a appelé quand la façade avant est tombée. Elle a appelé quand la façade arrière est tombée. Avec une voisine, elles se sont réfugiées en haut de la cage d’escalier. Puis la maison s’est effondrée ». « Ils l’ont retrouvé 10 jours plus tard. À quinze kilomètres de là. C’était un bon nageur, notre fils. Nous n’avons pas pu le revoir ». Les inondations de l’été dernier constituent la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire de la Belgique. Plus de 200 communes ont été touchées, dont 10 ont été partiellement détruites. Environ 50 000 maisons ont été endommagées, 11 000 voitures ont été détruites, 160 000 tonnes de débris ont dû être déblayées et 40 personnes sont mortes. Quarante. Plus que lors des attaques terroristes de 2016. Et pourtant, ils semblent déjà avoir été oubliés. Pourquoi ? Parce qu’ici la distinction entre le coupable et la victime est beaucoup moins claire ? Les recherches internationales sur la catastrophe ont conclu qu’au plus la planète se réchauffe, au plus la probabilité des phénomènes météorologiques extrêmes augmente également. Il est difficile de commémorer quand on porte une part de responsabilité. Parmi les décombres, j’ai vu des chaussures, des imprimantes, des béquilles, des jouets. Sur le sol sale de ce qui était autrefois une maison, gisent des diapositives cassées. Elles ont dû rester dans l’humidité pendant des semaines. Je les ai ramassées et les ai tenues à la lumière. Les couleurs avaient coulé, l’émulsion s’était détachée. Dois-je les laisser là ou les montrer aux autres ? Elles se sont avérées être les images les plus puissantes des inondations que je n’aie jamais vues. L’eau avait emporté tous les souvenirs et les avait transformés en zones de couleur abstraites. Parfois menaçantes, parfois adorables. Et parfois terriblement vides. A qui appartiennent ces sinistres vitraux de notre temps ?

L’écrivain David Van Reybrouck (Bruges, 1971) est l’un des auteurs phares de sa génération. Il a étudié l’archéologie et la philosophie aux universités de Louvain et de Cambridge et a obtenu son doctorat à Leiden.

Creuser et réfléchir sont toujours au cœur de son travail. Des recherches approfondies (par le biais d’interviews, de conversations ou d’archives) alimentent ses histoires et jouent un rôle essentiel dans la forme qu’elles prennent. De plus, sa narration est aussi polyvalente qu’ingénieuse.

Musique de guérison pour une planète qui mérite mieux 

Il y a près d’un an, de grandes parties de l’Europe occidentale ont été attaquées par des précipitations extrêmes, entraînant des inondations terrifiantes. L’inondation impitoyable a fait des ravages sans précédent. La partie orientale de notre pays a été durement touchée. Quarante personnes ont perdu la vie et d’innombrables victimes ont perdu leurs biens. Bientôt, les météorologues et les experts du climat ont convenu que ces événements météorologiques extrêmes sont liés au changement climatique et deviendront plus fréquents à l’avenir.  

STROOM, festival où des artistes font entendre leur voix dans le débat sur le climat, a demandé au compositeur Jef Neve et à l’écrivain David Van Reybrouck d’écrire un nouveau requiem, une messe des morts pour la planète que nous portons peut-être tous dans la tombe. Ensemble, ils créent Rain Requiem, dédié aux victimes des inondations. Van Reybrouck s’est rendu dans la zone touchée et s’est entretenu avec des dizaines de victimes et de proches. Son texte est une poésie tirée d’interviews. Il mélange les trois langues nationales avec l’anglais et le latin, les langues mondiales d’hier et d’aujourd’hui. 

Dans l’un des plus beaux endroits de l’Escaut, dans le coude de Saint-Amand, Rain Requiem se déroule sur les fonts baptismaux. Le compositeur dirige lui-même l’orchestre Casco Phil, l’Ensemble Vocal Reflection et les solistes. Avec une vue imprenable sur le fleuve, nous réfléchissons à la puissance de l’eau et à l’importance d’une gestion prudente de la planète dont nous sommes les hôtes. 

Pour en savoir plus